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railles lézardées, sous ce toit qui laisse passer la pluie comme un crible. Nul n’évite son sort et j’accomplirai le mien : je serai le dernier des Sigognac. »

Il est inutile de décrire tout au long ce voyage qui dura une vingtaine de jours et ne fut égayé d’aucune rencontre curieuse. Il suffira de dire qu’un beau soir Sigognac aperçut de loin les deux tourelles de son château, illuminées par le couchant et se détachant en clair du fond violet de l’horizon. Un caprice de la lumière les faisait paraître plus rapprochées qu’elles ne l’étaient réellement, et dans un des rares carreaux de la façade, le soleil encadrait une scintillation rouge du plus vif éclat. On eût dit une monstrueuse escarboucle.

Cette vue causa au Baron un attendrissement bizarre ; certes, il avait bien souffert dans ce castel en ruine, et cependant il éprouvait à le retrouver l’émotion que procure au retour un ancien ami dont l’absence a fait oublier les défauts. Sa vie s’était écoulée là pauvre, obscure, solitaire, mais non sans quelques secrètes douceurs ; car la jeunesse ne peut être tout à fait malheureuse. La plus découragée a encore ses rêves et ses espérances. L’habitude d’une peine finit par avoir son charme, et l’on regrette certaines tristesses plus que certaines joies.

Sigognac donna de l’éperon à son cheval pour lui faire hâter l’allure et arriver avant la nuit. Le soleil ayant baissé et ne laissant plus voir au-dessus de la ligne brune tracée par la lande sur le ciel qu’un mince segment de son disque échancré, la lueur rouge de la