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LE CAPITAINE FRACASSE.

et à toutes sortes de dissipations. Isabelle se mêlait modestement à ces conversations, et le peu qu’elle disait était si juste, si fin et si à propos, que le prince en était émerveillé, d’autant plus que la jeune fille, avec un tact parfait, évitait préciosité et pédanterie.

Vallombreuse tout à fait rétabli proposa à sa sœur une promenade à cheval dans le parc, et les deux jeunes gens suivirent au pas une longue allée, dont les arbres centenaires se rejoignaient en voûte et formaient un couvert impénétrable aux rayons du soleil ; le duc avait repris toute sa beauté, Isabelle était charmante, et jamais couple plus gracieux ne chevaucha côte à côte. Seulement la physionomie du jeune homme exprimait la gaieté et celle de la jeune fille la mélancolie. Parfois les saillies de Vallombreuse lui arrachaient un vague et faible sourire, puis elle retombait dans sa languissante rêverie ; mais son frère ne paraissait pas s’apercevoir de cette tristesse, et il redoublait de verve. « Oh ! la bonne chose que de vivre, disait-il ; on ne se doute pas du plaisir qu’il y a dans cet acte si simple : respirer ! Jamais les arbres ne m’ont semblé si verts, le ciel si bleu, les fleurs si parfumées ! C’est comme si j’étais né d’hier et que je visse la création pour la première fois. Quand je songe que je pourrais être allongé sous un marbre et que je me promène avec ma chère sœur, je ne me sens pas d’aise ! ma blessure ne me fait plus souffrir du tout, et je crois que nous pouvons risquer un petit temps de galop pour retourner au château où le prince s’ennuie à nous attendre. »