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EN FAMILLE.

gueilleux et si vindicatif, eût oublié la honte d’une première défaite, et surtout celle d’une seconde. Quoique les positions fussent changées, Vallombreuse, en son cœur, devait toujours haïr Sigognac. Eût-il assez de grandeur d’âme pour lui pardonner, la générosité n’exigeait pas qu’il l’aimât et l’admît dans sa famille. Il fallait renoncer à l’espoir d’une réconciliation. Le prince, d’ailleurs, ne verrait jamais avec plaisir celui qui avait mis en péril les jours de son fils. Ces réflexions jetaient Isabelle en une mélancolie qu’elle essayait vainement de secouer. Tant qu’elle s’était considérée dans son état de comédienne comme un obstacle à la fortune de Sigognac, elle avait repoussé toute idée d’union avec lui ; mais maintenant qu’un coup inopiné du sort la comblait de tous les biens qu’on souhaite, elle eût aimé à récompenser par le don de sa main celui qui la lui avait demandée quand elle était méprisée et pauvre. Elle trouvait une sorte de bassesse à ne point faire partager sa prospérité au compagnon de sa misère. Mais tout ce qu’elle pouvait faire, c’était de lui garder une inaltérable fidélité, car elle n’osait parler en sa faveur ni au prince ni à Vallombreuse.

Bientôt le jeune duc fut assez bien pour pouvoir dîner à table avec son père et sa sœur ; il déployait à ces repas une déférence respectueuse envers le prince, une tendresse ingénieuse et délicate à l’endroit d’Isabelle, et montrait qu’il avait, malgré sa frivolité apparente, l’esprit orné plus qu’on n’eût pu le supposer chez un jeune homme adonné aux femmes, aux duels