Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/307

Cette page a été validée par deux contributeurs.
300
LE CAPITAINE FRACASSE.

les os à quiconque eût osé me toucher du doigt, ou seulement me dire une parole libre. Quoique comédiens, ce sont de très-braves gens, et je vous les recommande s’ils se trouvent jamais en quelque nécessité. Je leur dois en grande partie de pouvoir présenter sans rougir mon front à vos lèvres, et me dire hautement votre fille. Mon seul regret est d’avoir été la cause bien innocente du malheur arrivé à M. le duc votre fils, et j’aurais souhaité entrer dans votre famille sous de meilleurs auspices.

— Vous n’avez rien à vous reprocher, ma chère fille, vous ne pouviez deviner ces mystères qui ont éclaté tout à coup par un concours de circonstances qu’on trouverait romanesques si on les rencontrait en un livre, et ma joie de vous revoir aussi digne de moi que si vous n’eussiez pas vécu à travers les hasards d’une vie errante, et d’une profession peu rigoureuse d’ordinaire, efface bien la douleur où m’a jeté la fâcheuse blessure de mon fils. Qu’il survive ou succombe, je ne saurais vous en vouloir. En tout cas, votre vertu l’a sauvé d’un crime. Ainsi, ne parlons plus de cela. Mais, parmi vos libérateurs, quel était ce jeune homme qui semblait diriger l’attaque, et qui a blessé Vallombreuse ? Un comédien, sans doute, quoiqu’il m’ait paru de bien grand air et de hardi courage.

— Oui, mon père, répondit Isabelle dont les joues se couvrirent d’une faible et pudique rougeur, un comédien. Mais s’il m’est permis de trahir un secret, qui n’en est plus un déjà pour monsieur le duc, je