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LE CAPITAINE FRACASSE.

t-elle là ? » Dans la même pièce figurait un pédant dont la trogne avinée ne m’était point inconnue. Les années n’avaient en rien altéré sa laideur grotesque, et je me souvins que déjà il faisait les Pantalons et les vieillards ridicules dans la compagnie où jouait Cornélia. Je ne sais pourquoi mon imagination établissait un rapport entre vous et ce pédant jadis camarade de votre mère. La raison avait beau alléguer que cet acteur pouvait bien avoir pris de l’emploi en cette troupe, sans que pour cela vous y fussiez ; il me semblait qu’il tenait entre ses mains le bout du fil mystérieux à l’aide duquel je me guiderais dans ce dédale d’événements obscurs. Aussi formai-je la résolution de l’interroger, et l’aurais-je fait si, quand j’envoyai à l’auberge de la rue Dauphine, on ne m’eût dit que les comédiens d’Hérode étaient partis pour donner une représentation dans un château aux environs de Paris. Je me serais tenu tranquille jusqu’au retour des acteurs, si un brave serviteur ne me fût venu prévenir, craignant quelque rencontre fâcheuse, que le duc de Vallombreuse, amoureux à la folie d’une comédienne nommée Isabelle qui lui résistait avec la plus ferme vertu, avait fait le projet de l’enlever pendant cette expédition supposée, au moyen d’une escouade de spadassins à gages, action par trop énorme et violente, capable de mal tourner, la jeune fille étant accompagnée d’amis qui n’allaient pas sans armes. Le soupçon que j’avais de votre naissance me jeta, à cet avertissement, dans une perturbation d’âme étrange à concevoir. Je frémis à l’idée de cet amour criminel qui se changeait