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LE CAPITAINE FRACASSE.

enfant royal, ayant pour hochets des joyaux qui eussent été la fortune d’honnêtes familles, que peut-être, en ce moment, vêtue à peine de quelque oripeau fané de théâtre, vous souffriez du froid et de la faim sur une charrette ou dans une grange ouverte à tous les vents. Si elle vit, me disais-je, quelque directeur de troupe la malmène et la bat. Suspendue à un fil d’archal, elle fait, à demi morte de peur, les amours et les petits génies dans les vols des pièces à machines. Ses larmes mal contenues coulent sillonnant le fard grossier dont on a barbouillé ses joues pâles, ou bien, tremblante d’émotion, elle balbutie à la fumée des chandelles un petit bout de rôle enfantin qui lui a valu déjà bien des soufflets. Et je me repentais de n’avoir pas, dès le jour de sa naissance, enlevé l’enfant à sa mère ; mais alors je croyais ces amours éternelles. Plus tard, ce furent d’autres tourments. En cette vie errante et dissolue, belle comme elle promettait de l’être, que d’attaques sa pudicité n’a-t-elle point à souffrir de la part de ces libertins qui volent aux comédiennes comme papillons aux lumières, et le rouge me montait à la figure à l’idée que mon sang qui coule dans vos veines subissait ces outrages. Bien des fois, affectant plus de goût que je n’en avais pour la comédie, je me rendais aux théâtres, cherchant à découvrir parmi les ingénues quelque jeune personne de l’âge que vous eussiez dû avoir et de la beauté que je vous supposais. Mais je ne vis que mines affétées et fardées, et qu’effronterie de courtisane sous des grimaces d’innocente. Aucune de ces péronnelles ne pouvait être vous.