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EN FAMILLE.

que le roi mon maître me chargea d’ambassades et missions délicates qui me tinrent longtemps à l’étranger. Quand je revins, par des affidés aussi sûrs qu’intelligents, lesquels avaient questionné et fait jaser des comédiens de divers théâtres, j’appris que Cornélia était morte depuis quelques mois déjà. Quant à l’enfant, on n’en avait point entendu parler, et l’on ne savait pas ce qu’il était devenu. Le voyage perpétuel de ces compagnies comiques, les noms de guerre qu’adoptent les acteurs qui les composent, et dont ils changent souvent par nécessité ou caprice, rendent fort difficiles ces recherches à qui ne peut les faire lui-même. Le frêle indice qui guiderait l’intéressé ne suffit pas à l’agent qu’anime seulement un motif cupide. On me signala bien quelques petites filles parmi ces troupes ; mais le détail de leur naissance ne se rapportait point à la vôtre. Même quelquefois des suppositions furent hasardées par des mères peu soucieuses de conserver leur fruit, et je dus me tenir en garde contre ces ruses. On n’avait point touché aux sommes déposées. Évidemment la rancunière Cornélia avait voulu me dérober sa fille et se venger ainsi. Je dus croire à votre mort, et cependant un instinct secret me disait que vous existiez. Je me rappelais combien vous étiez gentille et mignonne en votre berceau, et comme de vos petits doigts roses vous tiriez ma moustache, noire alors, quand je me penchais pour vous baiser. La naissance de mon fils avait ravivé ce souvenir au lieu de l’éteindre. Je pensais, en le voyant grandir au sein du luxe, couvert de rubans et de dentelles comme un