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EN FAMILLE.

Isabelle, cédant à un impétueux mouvement de cœur, se leva, passa de l’autre côté de la table, et s’agenouillant près du prince, lui prit la main et la baisa en reconnaissance de cette délicatesse.

« Relevez-vous, ma fille, reprit le prince d’un air attendri, et reprenez votre place. Ce que je fais est juste. La destinée seule m’empêcha de le faire plus tôt, et cette terrible rencontre qui nous a tous réunis a quelque chose où je vois le doigt du ciel. Votre vertu a empêché qu’un grand crime fût commis, et je vous aime pour cette honnêteté, dût-elle me coûter la vie de mon fils. Mais Dieu le sauvera, pour qu’il se repente d’avoir outragé la plus pure innocence. Maître Laurent m’a donné bon espoir, et du seuil d’où je le contemplais en son lit, Vallombreuse ne m’a point paru avoir sur le front ce cachet de la mort que nous autres gens de guerre savons bien reconnaître. »

On donna à laver dans une magnifique aiguière de vermeil, et le prince, jetant sa serviette, se dirigea vers le salon, où, sur un signe, Isabelle le suivit. Le vieux seigneur s’assit près de la cheminée, monument sculptural qui s’élevait jusqu’au plafond, et sa fille prit place à côté de lui sur un pliant. Comme les laquais s’étaient retirés, le prince prit tendrement la main d’Isabelle entre les siennes, et contempla quelque temps en silence cette fille si étrangement retrouvée. Ses yeux exprimaient une joie mêlée de tristesse. Car, malgré les assurances du médecin, la vie de Vallombreuse pendait encore à un fil. Heureux d’une part, il était malheureux de l’autre ; mais le