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LE CAPITAINE FRACASSE.

chaise dont le haut dossier figurait une sorte de dais. Derrière lui se tenaient deux laquais en grande livrée. La jeune fille adressa à son père une révérence modeste qui ne sentait pas son théâtre, et que toute grande dame eût approuvée. Un domestique lui avança un siège, et, sans trop d’embarras, elle prit place en face du prince à l’endroit qu’il lui désignait de la main.

Les potages servis, l’écuyer-tranchant découpa sur une crédence les viandes que lui portait de la table un officier de bouche, et que les valets y reportaient disséquées.

Un laquais versait à boire à Isabelle, qui n’usait de vin que fort trempé, en personne réservée et sobre qu’elle était. Tout émue des événements de la journée et de la nuit précédentes, tout éblouie et troublée par le brusque changement de sa fortune, inquiète de son frère si grièvement navré, perplexe sur le sort de son bien-aimé Sigognac, elle ne touchait non plus aux mets placés devant elle que du bout des dents.

« Vous ne mangez ni ne buvez, comtesse, lui dit le prince ; acceptez donc cette aile de perdrix. »

À ce titre de comtesse prononcé d’une voix amicale et pourtant sérieuse, Isabelle tourna vers le prince ses beaux yeux bleus étonnés avec un regard timidement interrogatif.

« Oui, comtesse de Lineuil ; c’est le titre d’une terre que je vous donne, car ce nom d’Isabelle, tout charmant qu’il soit, ne saurait convenir à ma fille, sans être quelque peu accompagné. »