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EN FAMILLE.

entr’ouvertes découvraient la blancheur des dents, et simulaient un languissant sourire, plus triste que les contractions de la souffrance ; car c’était celui que dessine sur les bouches humaines l’approche du repos éternel : cependant quelques légères nuances vermeilles se mêlaient aux teintes violettes et montraient que le sang reprenait peu à peu son cours.

Debout au chevet du blessé, maître Laurent le chirurgien observait ces symptômes, si malaisément appréciables, avec une attention profonde et perspicace. C’était un homme instruit que maître Laurent, et à qui, pour être connu comme il méritait de l’être, il n’avait manqué jusque-là que des occasions illustres. Son talent ne s’était exercé encore que in animâ vili, et il avait guéri obscurément des manants, de petits bourgeois, des soldats, des greffiers, des procureurs et autres bas officiers de justice, dont la vie ou la mort ne signifiait rien. Il attachait donc à la cure du jeune duc une importance énorme. Son amour-propre et son ambition étaient en jeu également dans ce duel qu’il soutenait contre la Mort. Pour se garder entière la gloire du triomphe, il avait dit au prince, qui voulait faire venir de Paris les plus célèbres médecins, que lui seul suffirait à cette besogne, et que rien n’était plus grave qu’un changement de méthode dans le traitement d’une telle blessure.

« Non, il ne mourra point, se disait-il, tout en examinant le jeune duc ; il n’a pas la face hippocratique, ses membres gardent de la souplesse, et il a bien supporté cette angoisse du matin qui redouble les