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LE CAPITAINE FRACASSE.

Des habits de la plus somptueuse élégance, essayés et dédaignés ensuite, étaient jetés çà et là sur les chaises, et dans un grand cornet du Japon, chamarré de dessins bleus et rouges, posé sur une table en ébène comme tous les meubles de la chambre, trempait un magnifique bouquet formé des fleurs les plus rares et destiné à remplacer celui qu’avait refusé Isabelle, mais qui n’était pas arrivé à destination à cause de l’attaque inopinée du château. Ces fleurs épanouies et superbes, témoignage encore frais d’une préoccupation galante, faisaient un contraste étrange avec ce corps étendu sans mouvement, et un moraliste aurait trouvé là de quoi philosopher tout le saoul.

Le prince, assis dans un fauteuil auprès du lit, regardait d’un œil morne ce visage aussi blanc que l’oreiller de dentelles qui ballonnait autour de lui. Cette pâleur même en rendait encore les traits plus délicats et plus purs. Tout ce que la vie peut imprimer de vulgaire à une figure humaine y disparaissait dans une sérénité de marbre, et jamais Vallombreuse n’avait été plus beau. Aucun souffle ne semblait sortir de ses lèvres entr’ouvertes, dont les grenades avaient fait place aux violettes de la mort. En contemplant cette forme charmante qui bientôt allait se dissoudre, le prince oubliait que l’âme d’un démon venait d’en sortir, et il songeait tristement à ce grand nom que les siècles passés s’étaient respectueusement légué et qui n’arriverait pas aux siècles futurs. C’était plus que la mort de son fils qu’il déplorait, c’était la mort de sa maison : une douleur inconnue aux bourgeois et aux manants.