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LA BAGUE D’AMÉTHYSTE.

sâtre, entre deux rangées de manches à balai, sous la lueur froide de la lune. »

Les chevaux, sollicités du talon, prirent une allure plus vive ; mais pendant qu’ils cheminent, retournons au château, aussi calme maintenant qu’il était bruyant tout à l’heure, et entrons dans la chambre où les domestiques ont déposé Vallombreuse. Un chandelier à plusieurs branches, posé sur un guéridon, l’éclairait d’une lumière dont les rayons tombaient sur le lit du jeune duc, immobile comme un cadavre, et qui semblait encore plus pâle sur le fond cramoisi des rideaux et aux reflets rouges de la soie. Une boiserie d’ébène, incrustée de filets en cuivre, montait à hauteur d’homme et servait de soubassement à une tapisserie de haute lice représentant l’histoire de Médée et de Jason, toute remplie de meurtres et de magies sinistres. Ici, l’on voyait Médée couper en morceaux Pélias, sous prétexte de le rajeunir comme Éson. Là, femme jalouse et mère dénaturée, elle égorgeait ses enfants. Sur un autre panneau, elle s’enfuyait, ivre de vengeance, dans son char traîné par des dragons vomissant le feu. Certes, la tenture était belle et de prix, et de main d’ouvrier ; mais ces mythologies féroces avaient je ne sais quoi de lugubre et de cruel qui trahissait un naturel farouche chez celui qui les avait choisies. Dans le fond du lit, les rideaux relevés laissaient voir Jason combattant les monstrueux taureaux d’airain, défenseurs de la Toison-d’or, et on eût dit que Vallombreuse, gisant inanimé au-dessous d’eux, fût une de leurs victimes.