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LE CAPITAINE FRACASSE.

cœur paternel en murmure et d’injustes idées de vengeance pourraient me prendre dont je ne serais pas maître. Disparaissez, je ne ferai aucune poursuite, et je tâcherai d’oublier qu’une nécessité rigoureuse a dirigé votre fer sur le sein de mon fils !

— Monseigneur, répondit Sigognac sur le ton du plus profond respect, je fais à la douleur d’un père une part si grande, que j’eusse sans sonner mot accepté les injures les plus sanglantes et les plus amères, bien qu’en ce désastreux conflit ma loyauté ne me fasse aucun reproche. Je ne voudrais rien dire, pour me justifier à vos yeux, qui accusât cet infortuné duc de Vallombreuse ; mais croyez que je ne l’ai point cherché, qu’il s’est jeté de lui-même sur ma route et que j’ai tout fait, en plus d’une rencontre, pour l’épargner. Ici même, c’est sa fureur aveugle qui l’a précipité sur mon épée. Je laisse en vos mains Isabelle, qui m’est plus chère que la vie, et me retire à jamais désolé de cette triste victoire pour moi véritable défaite, puisqu’elle détruit mon bonheur. Ah ! que mieux eût valu que je fusse tué et victime au lieu de meurtrier ! »

Là-dessus, Sigognac fit au prince un salut, et lançant à Isabelle un long regard chargé d’amour et de regret, descendit les marches de l’escalier, suivi de Scapin et de Lampourde, non sans retourner plus d’une fois la tête, ce qui lui permit de voir la jeune fille appuyée contre la rampe de peur de défaillir, et portant son mouchoir à ses yeux pleins de larmes. Était-ce la mort de son frère ou le départ de Sigognac