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LE CAPITAINE FRACASSE.

D’autres domestiques, avec toutes les précautions imaginables, soulevèrent le corps de Vallombreuse, et, sur l’ordre de son père, le transportèrent à son appartement, où ils le déposèrent sur son lit.

Le vieux seigneur suivit d’un regard où la douleur éteignait déjà la colère ce cortège lamentable. Il voyait sa race finie avec ce fils aimé et détesté à la fois, mais dont il oubliait en ce moment les vices pour ne se souvenir que de ses qualités brillantes. Une mélancolie profonde l’envahissait, et il resta quelques minutes plongé dans un silence que tout le monde respecta.

Isabelle, tout à fait remise de son évanouissement, se tenait debout, les yeux baissés, près de Sigognac et d’Hérode, rajustant d’une main pudique le désordre de ses habits. Lampourde et Scapin, un peu en arrière, s’effaçaient comme des figures de second plan, et dans le cadre de la porte on entrevoyait les têtes curieuses des bretteurs qui avaient pris part à la lutte et n’étaient pas sans inquiétude sur leur sort, craignant qu’on ne les envoyât aux galères ou au gibet pour avoir aidé Vallombreuse en ses méchantes entreprises.

Enfin le prince rompit ce silence embarrassant et dit : « Quittez ce château à l’instant, vous tous qui avez mis vos épées au service des mauvaises passions de mon fils. Je suis trop gentilhomme pour faire l’office des archers et du bourreau ; fuyez, disparaissez, rentrez dans vos repaires. La justice saura bien vous y retrouver. »