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LE CAPITAINE FRACASSE.

et de qui le tenait-elle ? « Serait-elle la fille de Cornélia, se disait le prince, et la mienne ? Cette profession de comédienne qu’elle exerce, son âge, sa figure où se retrouvent quelques traits adoucis de sa mère, tout concorde à me le faire croire. Alors, c’est sa sœur que poursuivait ce damné libertin ; cet amour est un inceste ; oh ! je suis cruellement puni d’une faute ancienne. »

Isabelle ouvrit enfin les yeux, et son premier regard rencontra le prince tenant la bague qu’il lui avait ôtée du doigt. Il lui sembla avoir déjà vu cette figure, mais jeune encore, sans cheveux blancs ni barbe grise. On eût dit la copie vieillie du portrait placé au-dessus de la cheminée. Un sentiment de vénération profonde envahit à son aspect le cœur d’Isabelle. Elle vit aussi près d’elle le brave Sigognac et le bon Hérode, tous deux sains et saufs, et aux transes de la lutte succéda la sécurité de la délivrance. Elle n’avait plus rien à craindre ni pour ses amis, ni pour elle. Se soulevant à demi, elle inclina la tête devant le prince, qui la contemplait avec une attention passionnée, et paraissait chercher dans les traits de la jeune fille une ressemblance à un type autrefois chéri.

« De qui, mademoiselle, tenez-vous cet anneau qui me rappelle certains souvenirs ; l’avez-vous depuis longtemps en votre possession ? dit le vieux seigneur d’une voix émue.

— Je le possède depuis mon enfance, et c’est l’unique héritage que j’aie recueilli de ma mère, répondit Isabelle.