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LE CAPITAINE FRACASSE.

vait étourdi et fait se pâmer. Hérode s’avança jusqu’au parapet du fossé et vit qu’à une étroite coupure du garde-fou aboutissait un escalier diagonal taillé dans le revêtement de la douve, et qui menait au fond du fossé ou du moins jusqu’au niveau de l’eau clapotant sur ses dernières marches. Le Tyran descendit les degrés avec précaution et se sentant le pied mouillé s’arrêta, tâchant de percer l’obscurité du regard. Il démêla bientôt la forme de la barque, rangée à l’ombre du mur, et l’attira par la chaîne qui l’amarrait au bas de l’escalier. Rompre la chaîne ne fut qu’un jeu pour le robuste tragédien, et il entra dans le bateau que son poids pensa faire tourner. Quand les oscillations se furent apaisées et que l’équilibre se fut rétabli, Hérode fit jouer doucement l’aviron unique placé en la poupe pour servir à la fois de rame et de gouvernail. La barque, cédant à l’impulsion, sortit bientôt de la tranche d’ombre pour entrer dans la tranche de lumière, où sur l’eau huileuse tremblotaient comme des écailles d’ablette les paillons de la lune. La clarté pâle de l’astre découvrit à Hérode, dans le soubassement du château, un petit escalier pratiqué sous une arcade de brique. Il y aborda, et suivant la voûte, il parvint sans encombre à la cour intérieure, complètement déserte en ce moment.

« Me voici donc au cœur de la place, se dit Hérode en se frottant les mains ; mon courage a meilleure assiette sur les larges dalles bien cimentées que sur ce bâton à perroquet d’où je descends. Çà, orientons-nous et allons rejoindre les compagnons. »