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UNE TÊTE DANS UNE LUCARNE.

et dans l’enfer. Il riait et pleurait, en proie aux sentiments les plus tumultueux et les plus contradictoires ; la joie d’être aimé d’une si belle personne et d’un si noble cœur le faisait exulter, et la certitude de n’en rien obtenir jamais le jetait dans un accablement profond. Peu à peu ces folles vagues s’apaisèrent et le calme lui revint. Sa pensée reprit une à une pour les commenter les phrases d’Isabelle, et le tableau du château de Sigognac reconstruit qu’elle avait évoqué se présenta à son imagination échauffée avec les couleurs les plus vives et les plus fortes. Il eut tout éveillé comme une sorte de rêve :

La façade du castel rayonnait blanche au soleil, et les girouettes dorées à neuf brillaient sur le fond du ciel bleu. Pierre, revêtu d’une riche livrée, debout entre Miraut et Béelzébuth sous la porte armoriée, attendait son maître. Des cheminées si longtemps éteintes montaient de joyeuses fumées, montrant que le château était peuplé par une domesticité nombreuse et que l’abondance y était revenue.

Il se voyait lui-même vêtu d’un habit aussi galant que magnifique dont les broderies scintillaient et papillotaient, menant vers le manoir de ses ancêtres Isabelle qui portait un costume de princesse blasonné d’armoiries dont les émaux et les couleurs semblaient appartenir à une des plus grandes maisons de France. Une couronne ducale brillait sur son front. Mais la jeune femme n’en paraissait pas plus fière. Elle gardait son air tendre et modeste et tenait à la main la petite rose, présent de Sigognac, auquel le temps n’avait rien