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LA BAGUE D’AMÉTHYSTE.

prompt que l’éclair, il profita d’un moment d’incertitude chez l’ennemi étonné de son entrée bizarre, ramassa les rapières et les jeta par la fenêtre ; puis il courut sur Bringuenarilles, le saisit à bras-le-corps et se fit de son ennemi un bouclier, le poussant devant lui et le tournant de manière à le présenter aux gueules des pistolets braqués sur lui.

« De par tous les diables, ne tirez pas, hurlait Bringuenarilles à demi suffoqué par les bras nerveux de Scapin, ne tirez pas. Vous me casseriez les reins ou la tête, et cela me serait particulièrement dur d’être meurtri par des camarades. »

Pour ne pas donner à Tordgueule et à Piedgris la facilité de le viser par derrière, Scapin s’était prudemment adossé à la muraille, leur opposant Bringuenarilles comme rempart ; et, dans le but de changer le point de mire, il secouait çà et là le bretteur, qui, encore que ses pieds touchassent parfois la terre, ne reprenait pas de nouvelles forces comme Antée.

Ce manège était fort judicieux ; car Piedgris, qui n’aimait pas beaucoup Bringuenarilles et se souciait de la vie d’un homme autant que d’un fétu, cet homme fût-il son compagnon, ajusta la tête de Scapin dont la taille dépassait un peu celle du spadassin ; le coup partit, mais le comédien s’était baissé haussant Bringuenarilles pour se garantir, et la balle alla trouer la boiserie, emportant l’oreille du pauvre diable qui se prit à hurler : « Je suis mort ! je suis mort ! » avec une vigueur qui prouvait qu’il était bien vivant.

Scapin, qui n’était pas d’humeur à attendre un se-