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VALLOMBREUSE.

s’était levée et avait retiré de son corset le couteau de Chiquita.

« Bon ! fit le duc en voyant la jeune femme armée, déjà le poignard au vent ! Si vous n’aviez oublié l’histoire romaine, vous sauriez, ma toute belle, que madame Lucrèce ne se servit de sa dague qu’après l’attentat de Sextus, fils de Tarquin le Superbe. Cet exemple de l’antiquité est bon à suivre. »

Et, sans plus se soucier du couteau que d’un aiguillon d’abeille, il s’avança vers Isabelle qu’il saisit entre ses bras avant qu’elle eût le temps de lever sa lame.

Au même instant, un craquement se fit entendre, suivi bientôt d’un fracas horrible ; la fenêtre, comme si elle eût reçu par dehors le coup de genou d’un géant, tomba avec un tintamarre de carreaux pulvérisés dans la chambre, où pénétrèrent des masses de branches formant une sorte de catapulte chevelu et de pont volant.

C’était la cime de l’arbre qui avait favorisé la sortie et la rentrée de Chiquita. Le tronc, scié par Sigognac et ses camarades, cédait aux lois de la pesanteur. Sa chute avait été dirigée de manière à jeter un trait d’union au-dessus de l’eau de la berge à la fenêtre d’Isabelle.

Vallombreuse, surpris de l’irruption soudaine de cet arbre se mêlant à une scène d’amour, lâcha la jeune actrice et mit l’épée à la main, prêt à recevoir le premier qui se présenterait à l’assaut.

Chiquita, qui était entrée sur la pointe du pied, légère comme une ombre, tira Isabelle par la manche,