Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.
236
LE CAPITAINE FRACASSE.

ses éclats à ses tendresses. Elle espérait d’ailleurs, en le querellant, l’empêcher d’entendre.

« Cette félicité serait une honte à laquelle j’échapperais par la mort si je n’avais pas d’autre moyen. Vous n’aurez jamais de moi que mon cadavre. Vous m’étiez indifférent ; je vous hais pour votre conduite outrageuse, infâme et violente. Oui, j’aime Sigognac que vous avez essayé à plusieurs reprises de faire assassiner. »

Le petit bruit continuait toujours, et Isabelle, ne ménageant plus rien, haussait la voix pour le couvrir.

À ces mots audacieux, Vallombreuse pâlit de rage, ses yeux lancèrent des regards vipérins ; une légère écume moussa aux coins de ses lèvres ; il porta convulsivement la main à la garde de son épée. L’idée de tuer Isabelle lui avait traversé le cerveau comme un éclair ; mais, par un prodigieux effort de volonté, il se contint et se mit à rire d’un rire strident et nerveux en s’avançant vers la jeune comédienne.

« De par tous les diables, s’écria-t-il, tu me plais ainsi ; quand tu m’injuries, tes yeux prennent un lumineux particulier, ton teint un éclat surnaturel ; tu redoubles de beauté. Tu as bien fait de parler franc. Ces contraintes m’ennuyaient. Ah ! tu aimes Sigognac ! tant mieux ! il ne m’en sera que plus doux de te posséder. Quel plaisir de baiser ces lèvres qui vous disent : « Je t’abhorre ! » Cela a plus de ragoût que cet éternel et fade : « Je t’aime, » dont les femmes vous écœurent. »

Effrayée de la résolution de Vallombreuse, Isabelle