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UNE TÊTE DANS UNE LUCARNE.

duel. Vous êtes le dernier d’une noble race, et vous avez pour devoir de relever votre maison, abattue par le sort adverse. Lorsque d’un coup d’œil tendre je vous ai décidé à quitter votre manoir, vous songiez à quelque amourette et galanterie : c’était bien naturel ; moi, devançant l’avenir, je pensais à tout autre chose. Je vous voyais revenant de la cour, en habit magnifique, avec quelque bel emploi. Sigognac reprenait son ancien lustre ; en idée j’arrachais le lierre des murailles, je recoiffais d’ardoise les vieilles tours, je relevais les pierres tombées, je remettais les vitres aux fenêtres, je redorais les cigognes effacées de votre blason, et, vous ayant mené jusqu’aux limites de vos domaines, je disparaissais en étouffant un soupir.

— Votre rêve s’accomplira, noble Isabelle, mais non pas tel que vous le dites, le dénoûment en serait trop triste. C’est vous qui la première, votre main dans ma main, franchirez ce seuil d’où les ronces de l’abandon et de la mauvaise fortune auront disparu.

— Non, non, ce sera quelque belle, noble et riche héritière, digne de vous en tous points, que vous pourrez montrer avec orgueil à vos amis, et dont nul ne dira avec un mauvais sourire : « Je l’ai sifflée ou applaudie à tel endroit. »

— C’est une cruauté de se montrer si adorable et si parfaite en vous désespérant, dit Sigognac ; ouvrir le ciel et le fermer, rien de plus barbare. Mais je fléchirai cette résolution.

— Ne l’essayez pas, reprit Isabelle avec une fermeté douce, elle est immuable. Je me mépriserais en y re-