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VALLOMBREUSE.

à Isabelle, sans presque la regarder, et d’une voix atone comme si elle eût craint d’être entendue par l’oreille des murailles. Sur un signe affirmatif de la jeune femme, elle lui peigna ses cheveux blonds tout en désordre, à la suite des scènes violentes de la veille et des inquiétudes nerveuses de la nuit, en noua les boucles soyeuses avec des nœuds de velours et s’acquitta de sa besogne en coiffeuse qui sait son métier. Elle tira ensuite d’une armoire pratiquée dans le mur plusieurs robes d’une richesse et d’une élégance rares, qui semblaient coupées à la taille d’Isabelle, mais dont la jeune actrice ne voulut point, encore que la sienne fût défraîchie et fripée, car elle eût paru porter ainsi la livrée du duc, et son intention bien formelle était de ne rien accepter qui vînt de lui, dût sa captivité se prolonger plus qu’elle ne pensait.

La fille de chambre n’insista point et respecta ce caprice, de même qu’on laisse faire aux personnes condamnées ce qu’elles veulent, dans l’enceinte de leur prison. On eût dit aussi qu’elle évitait de se lier avec sa maîtresse temporaire, de peur d’y prendre un intérêt inutile. Elle se réduisait autant que possible à l’état d’automate. Isabelle, qui pensait en tirer quelque lumière, comprit qu’il était superflu de l’interroger, et s’abandonna à ses soins muets non sans une espèce de terreur.

Quand la fille de chambre se fut retirée, on apporta le dîner, et, malgré la tristesse de sa situation, Isabelle y fit honneur ; la nature réclame impérieusement ses droits même chez les personnes les plus délicates. Cette