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VALLOMBREUSE.

âme un peu haute et fière se révolte quand on la prétend forcer. L’amour, qui est chose divine, ne se commande ni ne s’extorque. Il souffle où il veut.

— Ainsi, une répugnance invincible, voilà tout ce que je puis attendre de vous, répondit Vallombreuse dont les joues étaient devenues pâles et qui s’était mordu plus d’une fois les lèvres pendant qu’Isabelle lui parlait avec cette fermeté douce qui était le ton naturel de cette jeune personne aussi sage qu’aimable.

— Vous auriez un moyen de reconquérir mon estime et de gagner mon amitié. Rendez-moi noblement la liberté que vous m’avez prise. Faites-moi reconduire par un carrosse à mes compagnons inquiets qui ne savent ce que je suis devenue et me cherchent éperdument, avec transes mortelles. Laissez-moi reprendre mon humble vie de comédienne avant que cette aventure, dont mon honneur pourrait souffrir, ne s’ébruite parmi le public étonné de mon absence.

— Quel malheur, s’écria le duc, que vous me demandiez la seule chose que je ne saurais vous accorder sans me trahir moi-même. Que ne désirez-vous un empire, un trône, je vous le donnerais ; une étoile, j’irais vous la chercher en escaladant le ciel. Mais vous voulez que je vous ouvre la porte de cette cage où vous ne rentreriez jamais une fois sortie. C’est impossible ! Je sais que vous m’aimez si peu que je n’ai d’autre ressource pour vous voir que de vous enfermer. Quoi qu’il en coûte à mon orgueil, je l’emploie ; car je ne peux pas plus me passer de votre présence qu’une plante de la lumière. Ma pensée se tourne