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LE CAPITAINE FRACASSE.

pide ; puis, se levant, elle fit quelques pas dans la chambre.

« Vous serez ma femme, dit Sigognac, enivré au contact de cette bouche fraîche comme une fleur, ardente comme une flamme.

— Jamais, jamais, répondit Isabelle avec une exaltation extraordinaire ; je me montrerai digne d’un tel honneur en le refusant. Oh, mon ami, en quel ravissement céleste nage mon âme ! Vous m’estimez donc ? vous oseriez donc me conduire la tête haute dans ces salles où sont les portraits de vos aïeux, dans cette chapelle où est le tombeau de votre mère ? Je supporterais sans crainte le regard des morts qui savent tout, et la couronne virginale ne mentirait pas sur mon front !

— Eh quoi ! s’écria le Baron, vous dites que vous m’aimez et vous ne voulez m’accepter ni comme amant, ni comme mari ?

— Vous m’avez offert votre nom, cela me suffit. Je vous le rends, après l’avoir gardé une minute dans mon cœur. Un instant j’ai été votre femme et je ne serai jamais à un autre. Tout le temps que je vous embrassais, j’ai dit oui en moi-même. Je n’avais pas droit à tant de bonheur sur terre. Pour vous, ami cher, ce serait une grande faute d’embarrasser votre fortune d’une pauvre comédienne comme moi, à qui l’on reprocherait toujours sa vie de théâtre quoique honorable et pure. Les mines froides et compassées dont les grandes dames m’accueilleraient vous feraient souffrir, et vous ne pourriez provoquer ces méchantes en