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VALLOMBREUSE.

au roi, suivi la chasse, et, sans affectation, parlé à plusieurs personnes. Le soir, il avait joué et perdu ostensiblement des sommes qui eussent été importantes pour quelqu’un de moins riche. Il avait paru de charmante humeur, surtout depuis qu’un affidé venu à franc étrier s’était incliné en lui remettant un pli. Ce besoin d’établir, en cas de recherches, un incontestable alibi, avait sauvegardé cette nuit-là la pudicité d’Isabelle.

Après un sommeil traversé de rêves bizarres où tantôt elle voyait Chiquita courir en agitant ses bras comme des ailes devant le capitaine Fracasse à cheval, tantôt le duc de Vallombreuse avec des yeux flamboyants pleins de haine et d’amour, Isabelle s’éveilla et fut surprise du temps qu’elle avait dormi. Les bougies avaient brûlé jusqu’aux bobèches, les bûches s’étaient consumées, et un gai rayon de soleil pénétrant par l’interstice des rideaux s’émancipait jusqu’à jouer sur son lit encore qu’il n’eût pas été présenté. Ce fut pour la jeune femme un grand soulagement que le retour de la lumière. Sa position, sans doute, n’en valait guère mieux ; mais le danger n’était plus grossi de ces terreurs fantastiques que la nuit et l’inconnu apportent aux esprits les plus fermes. Pourtant sa joie ne fut pas de longue durée, car un grincement de chaînes se fit entendre ; le pont-levis s’abaissa : le roulement d’un carrosse mené d’un grand train retentit sur le plateau du tablier, gronda sous la voûte comme un tonnerre sourd et s’éteignit dans la cour intérieure.