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UNE TÊTE DANS UNE LUCARNE.

un soupir. J’avais tant de confiance en votre délicatesse ! l’aveu de mon amour eût dû vous suffire et vous faire comprendre par sa franchise même que j’étais résolue à n’y point céder. J’aurais cru que vous m’auriez laissé vous aimer à ma fantaisie sans inquiéter ma tendresse par des transports vulgaires. Vous m’avez ôté cette sécurité ; je ne doute pas de votre parole, mais je n’ose plus écouter mon cœur. Il m’était cependant si doux de vous voir, de vous entendre, de suivre vos pensées dans vos yeux ! C’étaient vos peines que je souhaitais partager, laissant les plaisirs à d’autres. Parmi tous ces hommes grossiers, libertins, dissolus, il en est un, me disais-je, qui croit à la pudeur et sait respecter ce qu’il aime. J’avais fait ce rêve, moi fille de théâtre, poursuivie sans cesse par une odieuse galanterie, d’avoir une affection pure. Je ne demandais qu’à vous conduire jusqu’au seuil du bonheur et à rentrer ensuite au fond de mon ombre. Vous voyez que je n’étais pas bien exigeante.

— Adorable Isabelle, chaque mot que vous dites, s’écria Sigognac, me fait sentir davantage mon indignité ; j’ai méconnu ce cœur d’ange ; je devrais baiser la trace de vos pas. Mais ne craignez plus rien de moi ; l’époux saura contenir les fougues de l’amant. Je n’ai que mon nom ; il est pur et sans tache comme vous. Je vous l’offre si vous daignez l’accepter. »

Sigognac était toujours à genoux devant Isabelle : à ces mots la jeune fille se baissa vers lui et, lui prenant la tête avec un mouvement de passion délirant, elle imprima sur les lèvres du Baron un baiser ra-