Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/213

Cette page a été validée par deux contributeurs.
206
LE CAPITAINE FRACASSE.

qui, bien qu’un peu rauque, ne manquait pas de justesse, les couplets suivants :

À Bacchus, biberon insigne,
Crions : « Masse ! » et chantons en chœur :
Vive le pur sang de la vigne
Qui sort des grappes qu’on trépigne !
Vive ce rubis en liqueur !

Nous autres prêtres de la treille,
Du vin nous portons les couleurs.
Notre fard est dans la bouteille
Qui nous fait la trogne vermeille
Et sur le nez nous met des fleurs.

Honte à qui d’eau claire se mouille
Au lieu de boire du vin frais.
Devant les brocs qu’il s’agenouille !
Ou soit mué d’homme en grenouille
Et barbotte dans les marais !


La chanson fut accueillie par des cris de joie, et Tordgueule, qui se piquait de poésie, ne craignit point de proclamer Malartic l’émule de Saint-Amand, avis qui prouvait combien l’ivresse faussait la judiciaire du compagnon. On décréta un rouge-bord en l’honneur du chansonnier, et quand les verres furent vidés, chacun fit rubis sur l’ongle pour montrer qu’il avait bu consciencieusement sa rasade. Ce coup acheva les plus faibles de la bande ; La Râpée glissa sous la table, où il fit matelas à Bringuenarilles. Piedgris et Tordgueule, plus robustes, laissèrent seulement choir leurs têtes en avant et s’endormirent ayant pour oreiller leurs