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LE CAPITAINE FRACASSE.

remplissaient d’une ivresse délicieuse et le troublaient au dernier point. Une vive rougeur montait à ses joues ordinairement si pâles ; il lui semblait que des flammes passaient devant ses yeux ; les oreilles lui tintaient et il sentait jusque dans sa gorge les palpitations de son cœur. Certes, il ne mettait point en doute la vertu d’Isabelle, mais il croyait qu’un peu d’audace triompherait de ses scrupules ; il avait entendu dire que l’heure du berger une fois sonnée ne revient plus. La jeune fille était là devant lui dans toute la gloire de sa beauté, rayonnante, lumineuse pour ainsi dire, âme visible, ange debout sur le seuil du paradis d’amour ; il fit quelques pas vers elle et l’entoura de ses bras avec une ardeur convulsive.

Isabelle n’essaya pas de lutter ; mais, se penchant en arrière pour éviter les baisers du jeune homme, elle fixa sur lui un regard plein de reproche et de douleur. De ses beaux yeux bleus jaillirent des larmes pures, vraies perles de chasteté qui roulèrent le long de ses joues subitement décolorées jusque sur les lèvres de Sigognac ; un sanglot comprimé gonfla sa poitrine, et tout son corps s’affaissa comme si elle eût été près de s’évanouir.

Le Baron éperdu la posa sur un fauteuil et, s’agenouillant devant elle, lui prit les mains qu’elle lui abandonnait, implorant son pardon, s’excusant sur une fougue de jeunesse, sur un moment de vertige dont il se repentait et qu’il expierait par la soumission la plus parfaite.

« Vous m’avez fait bien mal, dit enfin Isabelle avec