Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 2.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.
202
LE CAPITAINE FRACASSE.

Ce fut pour le courage d’Isabelle une action aussi brave de traverser cette galerie bordée de figures fantastiques, que pour un soldat de marcher au pas devant un feu de peloton. Une froide sueur d’angoisse mouillait sa chemisette entre les épaules, et elle s’imaginait que derrière elle ces fantômes à cuirasses et à pourpoints ornés d’ordres de chevalerie, ces douairières à hautes fraises et à vertugadins démesurés descendaient de leurs bordures et se mettaient à la suivre en procession funèbre. Elle croyait même entendre leurs pas d’ombres frôler imperceptiblement le parquet sur ses talons. Enfin elle atteignit l’extrémité de ce large couloir et rencontra une porte vitrée qui donnait sur la cour ; elle l’ouvrit non sans se meurtrir les doigts sur la vieille clef rouillée qui eut peine à tourner dans la serrure, et après avoir eu soin d’abriter sa lampe pour la retrouver en revenant sur ses pas, elle sortit de la galerie, séjour de terreurs et d’illusions nocturnes.

À l’aspect du ciel libre où quelques étoiles, que n’éteignait pas tout à fait la lueur blanche de la lune, brillaient avec une scintillation d’argent, Isabelle se sentit une joie délicieuse et profonde comme si elle revenait de la mort à la vie ; il lui semblait que Dieu la voyait maintenant de son firmament, tandis qu’il eût bien pu l’oublier lorsqu’elle était perdue dans ces ténèbres intenses, sous ces plafonds opaques, à travers ce dédale de chambres et de couloirs. Quoique sa situation ne fût en rien améliorée, un poids immense était enlevé de dessus sa poitrine. Elle continua ses