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LE CAPITAINE FRACASSE.

Domptant ces terreurs chimériques, Isabelle continua son chemin et vit au fond de la salle un dais seigneurial coiffé de plumes, historié d’armoiries dont il eût été difficile de déchiffrer le blason, et surmontant un fauteuil en forme de trône posé sur une estrade recouverte d’un tapis où l’on accédait par trois marches. Tout cela éteint, confus, baigné d’ombre et trahi seulement par quelque reflet, prenait du mystère une grandeur farouche et colossale. On eût dit une chaire à présider un sanhédrin d’esprits, et il n’eût pas fallu un grand effort d’imagination pour y voir un ange sombre assis entre ses longues ailes noires.

Isabelle pressa le pas, et, quelque légère que fût sa démarche, les craquements de ses chaussures acquéraient à travers ce silence des sonorités terribles. La quatrième salle était une chambre à coucher occupée en partie par un lit énorme dont les rideaux, en damas des Indes, rouge sombre, retombaient pesamment autour de la couchette. Dans la ruelle un prie-Dieu d’ébène faisait miroiter le crucifix d’argent qui le surmontait. Un lit fermé a, même le jour, quelque chose d’inquiétant. On se demande ce qu’il y a derrière ces voiles rabattus ; mais la nuit, dans une chambre abandonnée, un lit hermétiquement clos est effrayant. Il peut cacher un dormeur comme un cadavre ou même encore un vivant qui guette. Isabelle crut entendre derrière les rideaux le rhythme intermittent et profond d’une respiration endormie ; était-ce une illusion ou une réalité ? Elle n’osa pas s’en assurer en écartant les plis de l’étoffe rouge et en faisant tomber sur le lit le rayon de sa lampe.