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VALLOMBREUSE.

jeune comédienne une vaste pièce, non pas délabrée, mais ayant ce caractère mort des lieux qu’on n’habite plus ; de grands bancs de chêne s’adossaient aux murailles revêtues de tapisseries à personnages ; des trophées d’armes, gantelets, épées et boucliers, révélés par de brusques éclairs, y étaient suspendus. Une lourde table à pieds massifs, contre laquelle la jeune femme faillit se heurter, occupait le milieu de la pièce ; elle la contourna, mais quelle ne fut pas sa terreur quand, en approchant de la porte qui faisait face à la porte d’entrée et donnait accès dans la salle suivante, elle aperçut deux figures armées de pied en cap, qui se tenaient immobiles en sentinelle de chaque côté du chambranle, les gantelets croisés sur la garde de grandes épées ayant la pointe fichée en terre : les cribles de leurs casques représentaient des faces d’oiseaux hideux, dont les trous simulaient les prunelles, et le nasal le bec ; sur les cimiers se hérissaient comme des ailes irritées et palpitantes, des lamelles de fer ciselées en pennes ; le ventre du plastron frappé d’une paillette lumineuse se bombait d’une façon étrange, comme soulevé par une respiration profonde ; des genouillères et des cubitières jaillissait une pointe d’acier recourbé en façon de serre d’aigle, et le bout des pédieux s’allongeait en griffe. Aux clartés vacillantes de la lampe qui tremblait à la main d’Isabelle, ces deux fantômes de fer prenaient une apparence vraiment effrayante et bien faite pour alarmer les plus fiers courages. Aussi le cœur de la pauvre Isabelle palpitait-il si fort qu’elle en entendait les batte-