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LE CAPITAINE FRACASSE.

ne détendait point les nerfs d’Isabelle, frémissants comme les cordes d’une guitare qu’on vient de pincer ; ses yeux erraient autour d’elle, inquiets et furtifs, voulant voir et craignant de voir, et ses sens surexcités démêlaient avec terreur, au milieu du profond repos de la nuit, ces bruits imperceptibles qui sont la voix du silence. Dieu sait les significations formidables qu’elle leur attribuait ! Bientôt son malaise devint si fort qu’elle se résolut à quitter cette chambre si éclairée, si chaude et si commode, pour s’aventurer par les corridors du château, au risque de quelque rencontre fantasmatique, à la recherche de quelque issue oubliée ou de quelque lieu de refuge. Après s’être assurée que les portes de sa chambre n’étaient point fermées à double tour, elle prit sur le guéridon la lampe que le laquais y avait laissée pour la nuit, et l’abritant de sa main elle se mit en marche.

D’abord elle rencontra l’escalier à la rampe de serrurerie compliquée qu’elle avait monté sous l’escorte du domestique ; elle le descendit, pensant avec raison qu’aucune sortie favorable à son évasion ne se pouvait trouver au premier étage. Au bas de l’escalier, sous le vestibule, elle aperçut une grande porte à deux battants dont elle tourna le bouton, et qui s’ouvrit devant elle avec un craquement de bois et un grincement de gonds dont le bruit lui parut égal à celui du tonnerre, encore qu’il fût impossible de l’entendre à trois pas. La faible clarté de la lampe grésillant dans l’air humide d’un appartement longtemps fermé découvrit ou plutôt fit entrevoir à la