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MALARTIC À L’ŒUVRE.

sonnière, un peu rassurée, but une gorgée de bouillon, mangea une bouchée de pain, suça l’aile d’un poulet et, ce léger repas achevé, comme les émotions de la journée lui avaient donné un mouvement de fièvre, elle approcha son fauteuil du feu et resta ainsi quelque temps, le coude sur le bras de son siège, le menton dans la main, et l’esprit perdu en une vague et douloureuse rêverie.

Elle se leva ensuite et s’approcha de la fenêtre pour voir quel horizon l’on en découvrait. Il n’y avait aucune grille ou barreau, ni rien qui rappelât une prison. Mais en se penchant elle vit, au pied de la muraille, l’eau stagnante et verdie d’un fossé profond qui entourait le château. Le pont-levis sur lequel avait passé le carrosse était ramené, et à moins de franchir le fossé à la nage, tout moyen de communication avec l’extérieur était impossible. Encore eût-il été bien difficile de remonter à pic le revêtement en pierre de la douve. Quant à l’horizon, une sorte de boulevard, formé d’arbres séculaires plantés autour du manoir, l’interceptait complètement. Des fenêtres on n’apercevait que leurs branches entrelacées qui, même dépouillées de feuilles, obstruaient la perspective. Il fallait renoncer à tout espoir de fuite ou de délivrance, et attendre l’événement avec cette inquiétude nerveuse pire peut-être que la catastrophe la plus terrible.

Aussi la pauvre Isabelle tressaillait-elle au plus léger bruit. Le murmure de l’eau, un soupir du vent, un craquement de la boiserie, une crépitation du feu