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UNE TÊTE DANS UNE LUCARNE.

crains pas de vous le dire, sûre que vous respecterez ma franchise et n’en tirerez point avantage. Quand je vous ai vu si triste et si abandonné en ce château lugubre où se fanait votre jeunesse, je me suis senti une tendre et mélancolique pitié à votre endroit. Le bonheur ne me séduit pas, son éclat m’effarouche. Heureux, vous m’auriez fait peur. Dans cette promenade au jardin, où vous écartiez les ronces devant moi, vous m’avez cueilli une petite rose sauvage, seul cadeau que vous pussiez me faire ; j’y ai laissé tomber une larme avant de la mettre dans mon sein, et, silencieusement, je vous ai donné mon âme en échange. »

En entendant ces douces paroles, Sigognac voulut baiser les belles lèvres qui les avaient dites ; mais Isabelle se dégagea de son étreinte sans pruderie farouche, mais avec cette fermeté modeste qu’un galant homme ne doit pas contrarier.

« Oui, je vous aime, continua-t-elle, mais ce n’est pas à la façon des autres femmes ; j’ai votre gloire pour but et non mon plaisir. Je veux bien qu’on me croie votre maîtresse, c’est le seul motif qui puisse excuser votre présence parmi cette troupe de baladins. Qu’importent les méchants propos pourvu que je garde ma propre estime et que je me sache vertueuse ? Une tache me ferait mourir. C’est sans doute le sang noble que j’ai dans les veines qui m’inspire ces fiertés, bien ridicules, n’est-ce pas ? chez une comédienne, mais je suis faite ainsi. »

Bien que timide, Sigognac était jeune. Ces charmants aveux qui n’eussent rien appris à un fat, le