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LE CAPITAINE FRACASSE.

grande cour carrée formée par quatre corps de logis en briques, dont le temps avait changé la couleur vermeille en une teinte sombre assez lugubre. Des fenêtres étroites et longues perçaient les façades intérieures, et derrière leurs carreaux verdâtres on apercevait des volets clos, indiquant que les chambres auxquelles elles donnaient du jour étaient inhabitées depuis longtemps. Un cadre de mousse sertissait chaque pavé de la cour, et vers le pied des murailles quelques herbes avaient poussé. Au bas du perron deux sphinx à l’égyptiaque allongeaient sur un socle leurs griffes émoussées, et des plaques de cette lèpre jaune et grise qui s’attache à la vieille pierre tigraient leurs croupes arrondies. Bien que frappé de cette tristesse qu’imprime aux habitations l’absence du maître, le château inconnu avait encore fort bon air et sentait sa seigneurie. Il était désert, mais non abandonné et nul symptôme de ruine ne s’y faisait remarquer. Le corps était intact, l’âme seule y manquait.

L’homme masqué remit Isabelle aux mains d’une sorte de laquais en livrée grise. Ce laquais la conduisit, par un vaste escalier dont la rampe très-ouvragée se tordait en ces enroulements et arabesques de serrurerie de mode sous l’autre règne, à un appartement qui avait dû jadis sembler le nec plus ultra du luxe, et dont la richesse fanée valait bien les élégances modernes. Des boiseries de vieux chêne recouvraient les murailles de la première chambre, figurant des architectures avec des pilastres, des corniches et des cadres en feuillages sculptés remplis par des verdures de Flandre. Dans la