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MALARTIC À L’ŒUVRE.

restée en mémoire et avec un homme de cette trempe, si furieux en ses désirs, si âpre en ses volontés, cette simple phrase ne présageait rien de bon. Cette conviction redoublait les transes de la pauvre comédienne, qui pâlissait, en songeant aux assauts qu’allait avoir à subir sa pudicité, de la part de ce seigneur altier, plus blessé d’orgueil encore que d’amour. Elle espérait que le courage de Sigognac lui viendrait en aide. Mais cet ami fidèle et vaillant parviendrait-il à la découvrir opportunément en la retraite absconse où ses ravisseurs la conduisaient ? « En tout cas, se dit-elle, si ce méchant duc me veut affronter, j’ai dans ma gorge le couteau de Chiquita, et je sacrifierai ma vie à mon honneur. » Cette résolution prise lui rendit un peu de tranquillité.

Le carrosse roulait du même train depuis deux heures, sans autre arrêt que quelques minutes pour changer de chevaux à un relais disposé d’avance. Comme les rideaux baissés empêchaient la vue, Isabelle ne pouvait deviner dans quel sens on l’entraînait ainsi. Bien qu’elle ne connût pas cette campagne, si elle eût eu la faculté de regarder au dehors, elle se fût orientée quelque peu d’après le soleil ; mais elle était emportée obscurément vers l’inconnu.

En sonnant sur les poutres ferrées d’un pont-levis, les roues du carrosse avertirent Isabelle qu’on était arrivé au terme de la course. En effet, la voiture s’arrêta, la portière s’ouvrit et l’homme masqué offrit la main à la jeune comédienne pour descendre.

Elle jeta un coup d’œil autour d’elle et vit une