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MALARTIC À L’ŒUVRE.

sur ses joues pâles, comme des gouttes de pluie sur une rose blanche. Elle pensait aux risques que courait sa vertu et au désespoir de Sigognac.

« À la crise nerveuse, pensa l’homme masqué, succède la crise humide ; les choses suivent leur cours régulier. Tant mieux, cela m’eût ennuyé d’agir brutalement avec cette aimable fille. »

Tapie dans son coin, Isabelle jetait de temps en temps un regard craintif vers son gardien qui s’en aperçut et lui dit d’une voix qu’il s’efforçait de rendre douce, quoiqu’elle fût naturellement rauque : « Vous n’avez rien à redouter de moi, mademoiselle, je suis galant homme et n’entreprendrai rien qui vous déplaise. Si la fortune m’avait plus favorisé de ses biens, certes, honnête, belle et pleine de talent comme vous l’êtes, je ne vous eusse point enlevée au profit d’un autre ; mais les rigueurs du sort obligent parfois la délicatesse à des actions un peu bizarres.

— Vous convenez donc, dit Isabelle, qu’on vous a soudoyé pour me ravir, chose infâme, abusive et cruelle !

— Après ce que j’ai fait, répondit l’homme au masque du ton le plus tranquille, il serait tout à fait oiseux de le nier. Nous sommes ainsi, sur le pavé de Paris, un certain nombre de philosophes sans passions, qui nous intéressons pour de l’argent à celles des autres et les mettons à même de les satisfaire en leur prêtant notre esprit et notre courage, notre cervelle et notre bras ; mais pour changer d’entretien, que vous étiez charmante dans la dernière comédie !