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LE CAPITAINE FRACASSE.

de ne plus vous exposer ainsi pour de frivoles motifs. Oh ! dans quelle inquiétude et quelle angoisse j’ai attendu votre retour ! je savais que vous alliez vous battre contre ce duc, dont chacun ne parle qu’avec terreur. Zerbine m’avait tout conté. Méchant que vous êtes, me torturer le cœur de la sorte ! Ces hommes, ils ne songent guère aux pauvres femmes quand leur orgueil est en jeu ; ils vont sans entendre les sanglots, sans voir les larmes, sourds, aveugles, féroces. Savez-vous que si vous aviez été tué, je serais morte ? »

Les pleurs qui brillaient dans les yeux d’Isabelle à l’idée seule du danger que Sigognac avait couru, et le tremblement nerveux de sa voix montraient que la douce créature disait vrai.

Touché plus qu’on ne saurait dire de cette passion sincère, le baron de Sigognac, enveloppant la taille d’Isabelle de sa main restée libre, l’attira sur sa poitrine sans qu’elle fît résistance, et ses lèvres effleurèrent le front penché de la jeune femme, dont il sentait contre son cœur la respiration haletante.

Ils restèrent ainsi quelques minutes silencieux, dans une extase qu’un amant moins respectueux que Sigognac eût sans doute mise à profit, mais il lui répugnait d’abuser de ce chaste abandon produit par la douleur.

« Consolez-vous, chère Isabelle, dit-il d’une voix tendrement enjouée, je ne suis pas mort, et j’ai même blessé mon adversaire quoiqu’il passe pour assez bon duelliste.

— Je sais que vous êtes un brave cœur et une main ferme, reprit Isabelle, aussi je vous aime et ne