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MALARTIC À L’ŒUVRE.

côté du cheval comme ces écuyers que les Latins nommaient desultores. Mais le cavalier serrait les genoux, et il eût été aussi facile de dévisser le torse d’un centaure que de l’arracher de sa selle ; en même temps il cherchait des talons le ventre de sa bête pour l’enlever, et tâchait de secouer Sigognac qu’il ne pouvait charger, car il avait les mains occupées à tenir la bride et à contraindre Isabelle. La course du cheval ainsi tiraillé et empêché perdait de sa vitesse, ce qui permit à Sigognac de reprendre un peu haleine ; même il profita de ce léger temps d’arrêt pour chercher à percer son adversaire ; mais la crainte de blesser Isabelle en ses mouvements tumultueux fit qu’il assura mal son coup. Le cavalier, lâchant un instant les rênes, prit dans sa veste un couteau dont il trancha la courroie à laquelle Sigognac s’accrochait désespérément ; puis il enfonça, à en faire jaillir le sang, les molettes étoilées de ses éperons dans les flancs du pauvre animal, qui se porta en avant avec une impétuosité irrésistible. La lanière de cuir resta au poing de Sigognac, qui n’ayant plus d’appui et ne s’attendant pas à cette feinte, tomba fort rudement sur le dos ; quelque agilité qu’il mît à se relever et à ramasser son épée roulée à quatre pas de lui, ce court intervalle avait suffi au cavalier pour prendre une avance que le Baron ne devait pas espérer faire disparaître, fatigué comme il l’était par cette lutte inégale et cette course furibonde. Cependant, aux cris de plus en plus faibles d’Isabelle, il se lança de nouveau à la poursuite du ravisseur ; inutile effort d’un grand cœur qui se voit enlever ce qu’il