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LE CAPITAINE FRACASSE.

comme ceux d’un filet, lui ôtant du même coup la vue, la respiration, l’usage des mains et des pieds.

La jeune actrice, pétrifiée d’épouvante, voulut crier, fuir, appeler au secours, mais avant qu’elle eût pu tirer un son de sa gorge, elle se sentit enlevée de terre avec une prestesse extrême. Le vieil aveugle devenu, en une minute, jeune et clairvoyant par un miracle plus infernal que céleste, l’avait saisie sous les bras, tandis que le jeune garçon lui soutenait les jambes. Tous deux gardaient le silence et l’emportaient hors du chemin. Ils s’arrêtèrent derrière la masure où attendait un homme masqué monté sur un cheval vigoureux.

Deux autres hommes, également à cheval, masqués, armés jusqu’aux dents, se tenaient derrière un mur qui empêchait qu’on ne les vît de la route prêts à venir en aide au premier, en cas de besoin.

Isabelle, plus qu’à demi morte de frayeur, fut assise sur l’arçon de la selle, recouvert d’un manteau plié en plusieurs doubles, de façon à former une espèce de coussin. Le cavalier lui entoura la taille d’une courroie en cuir assez lâche pour l’environner lui-même à la hauteur des reins et, les choses ainsi arrangées avec une dextérité rapide prouvant une grande pratique de ces enlèvements hasardeux, il donna de l’éperon à son cheval qui s’écrasa sous ses jarrets et partit d’un train à prouver que cette double charge ne lui pesait guère : il est vrai que la jeune comédienne n’était pas bien lourde.

Tout ceci se passa dans un temps moins long que