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MALARTIC À L’ŒUVRE.

espèce de sayon en grosse toile rapiécée formait tout son vêtement et dessinait un corps maigre et nerveux, non sans élégance malgré toute cette misère. Les pieds délicats et purs rougissaient sans bas ni chaussures sur la terre froide.

Isabelle se sentit touchée à l’aspect de ce groupe pitoyable où se réunissaient les infortunes de la vieillesse et de l’enfance, et elle s’arrêta devant l’aveugle, qui débitait ses patenôtres avec une volubilité toujours croissante accompagné par la voix aiguë de son guide, cherchant dans sa pochette une pièce de monnaie blanche pour la donner au mendiant. Mais elle ne trouva pas sa bourse, et, se retournant vers Sigognac, le pria de lui prêter un teston ou deux, ce à quoi s’accorda bien volontiers le Baron, quoique cet aveugle, avec ses jérémiades, ne lui plût guère. En galant homme, pour éviter à Isabelle d’approcher cette vermine, il s’avança lui-même et mit la pièce en la sébile.

Alors, au lieu de remercier Sigognac de cette aumône, le mendiant si courbé tout à l’heure se redressa, au grand effroi d’Isabelle, et ouvrant les bras, comme un vautour qui, pour prendre l’essor, palpite des ailes, déploya ce grand manteau brun sous lequel il semblait accablé, le ramassa sur son épaule et le lança avec un mouvement pareil à celui des pêcheurs qui jettent l’épervier dans un étang ou une rivière. La lourde étoffe s’étala comme un nuage par-dessus la tête de Sigognac, le coiffa, et retomba pesamment le long de son corps, car les bords en étaient plombés