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MALARTIC À L’ŒUVRE.

— C’est égal, reprit la jeune femme, vous seriez bien attrapé si je vous prenais au mot, et vous promettais ma main pour l’époque où je compterai seulement dix lustres d’âge. Mais, continua-t-elle en reprenant son sérieux, cessons ces badineries ; vous savez ma résolution, contentez-vous d’être aimé plus que ne le fut jamais aucun mortel, depuis que des cœurs palpitent sur la terre.

— Un si charmant aveu me devrait satisfaire, j’en conviens ; mais, comme mon amour est infini, il ne saurait souffrir la moindre barrière. Dieu peut bien dire à la mer : Tu n’iras pas plus loin, et en être obéi. Une passion telle que la mienne ne connaît pas de rivage et elle monte toujours, encore que de votre voix céleste vous lui disiez : « Arrête-toi là. »

— Sigognac, vous me fâchez par ces discours, » dit Isabelle en faisant au Baron une petite moue plus gracieuse que le plus charmant sourire ; car, malgré elle, son âme était inondée de joie à ces protestations d’un amour qu’aucune froideur ne rebutait.

Ils firent quelques pas sans se parler ; Sigognac, en insistant davantage, craignait de déplaire à celle qu’il aimait plus que sa vie. Tout à coup Isabelle lui quitta brusquement la main et courut vers le bord de la route avec un cri d’enfant et une légèreté de biche. Elle venait, sur le revers d’un fossé, au pied d’un chêne, parmi les feuilles sèches entassées par l’hiver, d’apercevoir une violette, la première de l’année à coup sûr, car on n’était encore qu’au mois de février ; elle s’agenouilla, écarta délicatement les feuilles mor-