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UNE TÊTE DANS UNE LUCARNE.

les planches, elle appartient au public ; les regards avides détaillent ses charmes, scrutent ses beautés, et l’imagination s’en empare comme d’une maîtresse. Chacun, parce qu’il la connaît, croit en être connu, et, s’il est admis dans les coulisses, étonne sa pudeur par la brusquerie d’aveux qu’elle n’a point provoqués. Est-elle sage ? on prend sa vertu pour simagrée pure ou calcul intéressé. Ce sont choses qu’il faut souffrir puisqu’on ne peut les changer. Désormais fiez-vous à moi pour repousser par un maintien réservé, une parole brève, un air froid, les impertinences des seigneurs, des robins et des fats de toutes sortes qui se penchent sur ma toilette ou grattent du peigne, entre les actes, à la porte de ma loge. Un coup de busc sec sur les doigts qui s’émancipent vaut bien un coup de votre rapière.

— Permettez-moi de croire, charmante Isabelle, dit Sigognac, que l’épée du galant homme peut appuyer à propos le busc de l’honnête femme, et ne me retirez pas cet emploi d’être votre champion et chevalier. »

Isabelle tenait toujours la main de Sigognac, et fixait sur lui ses yeux bleus pleins de caresses et de supplications muettes pour arracher le serment désiré ; mais le Baron ne l’entendait pas de cette oreille-là, il était intraitable comme un hidalgo sur le point d’honneur, et il eût bravé mille morts plutôt que de souffrir qu’on manquât de respect à sa maîtresse ; il voulait qu’Isabelle, sur les planches, fût estimée comme une duchesse en un salon.

« Voyons, promettez-moi, fit la jeune comédienne,