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LE CAPITAINE FRACASSE.

seaux, tantôt s’arrêtant à chaque pas pour se contempler et jouir d’être ensemble, côte à côte, les bras enlacés et les regards plongés dans les yeux l’un de l’autre. Sigognac disait à Isabelle combien il l’aimait ; cette phrase, qu’il avait dite plus de vingt fois, paraissait à la jeune femme nouvelle, comme dut l’être le premier mot d’Adam essayant le Verbe le lendemain de la création. Comme c’était la personne du monde la plus délicate et la plus désintéressée en fait de sentiments, elle tâchait par des fâcheries et des négations caressantes de contenir dans les limites de l’amitié un amour qu’elle ne voulait pas couronner, le jugeant nuisible à l’avenir du Baron.

Mais ces jolis débats et contestations ne faisaient qu’aviver l’amour de Sigognac, qui ne songeait, en ce moment, à la dédaigneuse Yolande de Foix, non plus que si elle n’eût jamais existé.

« Quoi que vous fassiez, mignonne, disait-il à son aimée, vous ne parviendrez pas à lasser ma constance. S’il le faut, j’attendrai que vos scrupules se soient dissipés d’eux-mêmes jusqu’à ce que vos beaux cheveux d’or se soient mués en cheveux d’argent.

— Oh ! fit Isabelle, alors je serai un vrai remède d’amour et laide à épouvanter le plus fier courage ; j’aurais peur, en la récompensant, de punir votre fidélité.

— Même à soixante ans vous garderez vos charmes comme la belle vieille de Maynard, répondit galamment Sigognac, car votre beauté vient de l’âme, qui est immortelle.