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LE CAPITAINE FRACASSE.

ou tuer, sans que personne y trouvât à redire, s’il le fâchait ou le gênait en quelque chose. Isabelle, pour sa résistance honnête, eût paru une mijaurée et une bégueule ; la vertu des femmes de théâtre comptant beaucoup de Thomas incrédules et de Pyrrhons sceptiques. Il n’y avait donc pas moyen de s’en prendre ouvertement au duc, ce dont enrageait Sigognac, reconnaissant malgré lui la vérité des motifs qu’alléguaient Hérode et le Pédant de faire les morts, mais l’œil ouvert et l’oreille au guet ; car ce damné seigneur, beau comme un ange et méchant comme un diable, n’abandonnerait certes pas son entreprise, quoiqu’elle eût manqué sur tous les points. Un doux regard d’Isabelle, qui prit entre ses blanches mains les mains frémissantes de Sigognac, en l’engageant à dompter son courage pour l’amour d’elle, pacifia tout à fait le Baron, et les choses reprirent leur train habituel.

Les débuts de la troupe avaient obtenu beaucoup de succès. La grâce pudique d’Isabelle, la verve étincelante de la Soubrette, la coquetterie élégante de Sérafine, l’extravagance superbe du capitaine Fracasse, l’emphase majestueuse du Tyran, les dents blanches et les gencives roses de Léandre, la bonhomie grotesque du Pédant, l’esprit madré de Scapin, la perfection comique de la Duègne produisaient le même effet à Paris qu’en province ; il ne leur manquait plus, ayant celle de la ville, que l’approbation de la cour, où sont les plus gens de goût et les plus fins connaisseurs ; il était question de les appeler même à Saint-Germain,