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LES DÉLICATESSES DE LAMPOURDE.

lui était moins cuisante à l’amour-propre. Ensuite, quelque forcené que fût Vallombreuse, cette action de faire assassiner Sigognac lui paraissait un peu énorme, non par aucune tendresse ou susceptibilité de conscience, mais parce que son ennemi était gentilhomme ; car il ne se fût fait nul scrupule de meurtrir et trucider une demi-douzaine de bourgeois qui l’eussent gêné, le sang de telles ribaudailles n’ayant de valeur à ses yeux non plus que l’eau des fontaines. Il eût préféré dépêcher son rival lui-même, sans la supériorité de Sigognac à l’escrime, supériorité dont son bras, cicatrisé à peine, avait gardé le souvenir, et qui ne lui permettait pas de risquer, avec des chances favorables, un nouveau duel ou une attaque à main armée. Ses pensées se tournèrent donc vers l’enlèvement d’Isabelle, qui lui souriait davantage par les perspectives amoureuses qu’il ouvrait à son imagination. Il ne se doutait pas que la jeune comédienne, une fois séparée de Sigognac et de ses camarades, ne s’humanisât et ne devînt sensible aux charmes d’un duc si bien fait de sa personne, et dont raffolaient les plus hautes dames de la cour. La fatuité de Vallombreuse était incorrigible, car jamais il n’en fut de mieux fondée. Elle justifiait toutes ses prétentions, et ses plus impertinentes vanteries n’étaient que vérités. Aussi, malgré l’échec récemment subi près d’Isabelle, semblait-il au jeune duc illogique, absurde, incroyable et outrageux de n’être point aimé.

« Que je la tienne, se disait-il, quelques jours en une retraite d’où elle ne puisse m’échapper, et je