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LE CAPITAINE FRACASSE.

ou assemblée de peuple à l’Agora. Le malheureux, faisant effort pour se tenir droit sur ses jarrets titubants comme s’il fût ivre, encore qu’il n’eût bu depuis le matin de quoi noyer une mouche, tournait son chapeau devant sa poitrine avec un décontenancement idiot ; il n’osait lever les yeux vers son maître dont il sentait le regard tomber sur lui comme une douche alternativement de feu et de glace.

« Eh bien ! animal, dit brusquement Vallombreuse, vas-tu rester longtemps ainsi planté là avec cette mine patibulaire, comme si tu avais déjà au cou la cravate de chanvre que tu mérites encore plus pour ta lâcheté et maladresse que pour tes méfaits ?

— J’attendais les ordres de monseigneur, fit Mérindol en essayant de sourire. Monsieur le duc sait que je lui suis dévoué jusqu’à la corde inclusivement : je me permets cette plaisanterie à cause de la gracieuse allusion que vient de faire…

— C’est bon, c’est bon, interrompit le duc, ne t’avais-je pas chargé de nettoyer mon chemin de ce Sigognac maudit qui me gêne et m’obstrue. Tu ne l’as pas fait, car j’ai bien vu à la joie et sérénité d’Isabelle, que ce maraud respire encore, et que je n’ai point été obéi. En vérité, c’est bien la peine d’avoir des bretteurs à ses gages pour être servi de la sorte ? Ne devriez-vous pas, sans que j’ai besoin de parler, deviner mes sentiments à l’éclair de mes yeux, aux palpitations de mes cils, et tuer silencieusement quiconque me déplaît ? Mais vous n’êtes bons qu’à vous ruer en cuisine, et vous n’avez de cœur que pour