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LES DÉLICATESSES DE LAMPOURDE.

trayait son amour pour Isabelle, se ressouvint de sa haine pour Sigognac.

« Mais comment se fait-il que ce gentillâtre de malheur n’ait pas encore été dépêché, dit-il en s’arrêtant tout à coup, j’avais cependant donné l’ordre formel à Mérindol de l’expédier lui-même ou au moyen de quelque gladiateur plus habile et plus brave que lui s’il ne suffisait à cette besogne ! « Morte la bête, mort le venin, » quoi qu’en dise Vidalinc. Le Sigognac supprimé, l’Isabelle reste à ma merci, frémissante de terreur et déliée d’une fidélité désormais sans objet. Sans doute elle ménage ce bélître dans l’idée de s’en faire épouser, et c’est pour cela qu’elle se livre à ces simagrées de pudeur hyrcanienne et de vertu inexpugnable, repoussant l’amour des ducs les mieux faits comme s’ils fussent gueux de l’Hostière. Seule, j’en aurai bientôt raison, et, en tout cas, je serai vengé d’un arrogant par trop outrageux, qui m’a navré au bras et que je trouve toujours comme un obstacle entre moi et mon désir. Çà, faisons comparaître Mérindol et sachons où en sont les choses. »

Mérindol, appelé par Picard, se présenta devant le duc, plus pâle qu’un voleur qu’on mène pendre, les tempes emperlées de sueur, la gorge sèche et la langue empâtée ; il lui eût été bon en ce moment d’angoisse d’avoir un caillou dans la bouche comme Démosthènes, orateur athénien, haranguant la mer, pour se donner de la salive, faciliter la prononciation et délier la faconde, d’autant que la face du jeune seigneur était plus tempestueuse que celle d’aucune mer