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DOUBLE ATTAQUE.

mon seul héritage, et je vous le léguerai ; sans cela, j’emporterai cette botte sublime dans la tombe, car je n’ai encore rencontré personne capable de l’exécuter, si ce n’est vous, admirable jeune homme ! Mais voulez-vous vous reposer un peu et reprendre haleine ? »

En disant ces mots, Jacquemin Lampourde baissait la pointe de son épée. Sigognac en fit autant, et au bout de quelques minutes le duel recommença.

Après quelques passes, Sigognac, qui connaissait toutes les ruses de l’escrime, sentit, au travail particulier de Lampourde, dont l’épée se dérobait avec une rapidité éblouissante, que la fameuse botte allait fondre sur sa poitrine. En effet, le bretteur s’aplatit subitement comme s’il tombait sur le nez, et le Baron ne vit plus devant lui d’adversaire, mais un éclair fouetté dans un sifflement lui arriva si vite au corps, qu’il n’eut que le temps de le couper par un demi-cercle qui cassa net la lame de Lampourde.

« Si vous n’avez pas le reste de mon épée dans le ventre, dit Lampourde à Sigognac en se redressant et en agitant le tronçon qui lui restait dans la main, vous êtes un grand homme, un héros, un dieu !

— Non, répondit Sigognac, je ne suis pas touché, et si je voulais je pourrais même vous clouer contre un mur comme un hibou ; mais cela répugne à ma générosité naturelle, et d’ailleurs vous m’avez amusé par votre bizarrerie.

— Baron, permettez-moi d’être désormais votre admirateur, votre esclave, votre chien. On m’avait payé pour vous tuer. J’ai même reçu des avances que