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DOUBLE ATTAQUE.

que la vie ne s’y opposerait point, que je déclinerais encore ce dangereux honneur.

— Regardez-moi d’un œil favorable, continua Vallombreuse, je vous rendrai un objet d’envie pour les plus grandes et les plus haut situées. À une autre femme je dirais : dans mes châteaux, dans mes terres, dans mes hôtels, prenez ce qui vous plaira, saccagez mes cabinets pleins de diamants et de perles, plongez vos bras jusqu’aux épaules au fond de mes coffres, habillez votre livrée d’habits trop riches pour des princes, faites ferrer d’argent fin les chevaux de vos carrosses, menez le train d’une reine ; éblouissez Paris, qui pourtant ne s’étonne guère. Tous ces appâts sont trop grossiers pour une âme de la trempe dont est la vôtre. Mais cette gloire peut vous toucher d’avoir réduit et vaincu Vallombreuse, de le mener captif derrière votre char de triomphe, de nommer votre serviteur et votre esclave celui qui n’a jamais obéi, et que nuls fers n’ont pu retenir.

— Ce prisonnier serait trop illustre pour mes chaînes, dit la jeune actrice, et je ne voudrais pas contraindre une liberté si précieuse ! »

Jusque-là le duc de Vallombreuse s’était contenu ; il forçait sa violence naturelle à une douceur feinte, mais la résistance respectueuse et ferme d’Isabelle commençait à faire bouillonner sa colère. Il sentait un amour derrière cette vertu, et son courroux s’augmentait de sa jalousie. Il fit quelques pas vers la jeune fille, qui mit la main sur la ferrure de la fenêtre. Ses traits étaient contractés, il se mordait les lèvres